Pourquoi la casheroute est en vogue au Portugal

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Pourquoi la casheroute est en vogue au Portugal

Avec un cinquième de la population ibérique qui aurait une ascendance juive, les restaurateurs et artisans cherchent à se rapprocher du judaïsme par les aliments qu’ils fabriquent

Le rabbin Elisha Salas, à droite, explique la fabrication de pain casher, dans une boulangerie de Belmonte, au Portugal,

JTA – La plus grande chaîne de montagne du Portugal, la Serra da Estrela, est célèbre pour ses cascades à couper le souffle, ses lacs turquoises, ses vallées et ses pistes cyclables dans les bois.

En hiver, des touristes du nord de l’Europe affluent vers la Serra ensoleillée, pour déguster ses vins exquis, son renommé fromage de chèvre, et ses plats régionaux exotiques (pensez sardines panées et potage de bœuf aux baies de Guenièvre).

En plus de ces délicatesses, la Serra da Estrela est récemment devenue, incontestablement, l’endroit idéal pour découvrir la nourriture casher, ce qui est assez troublant pour une région qui ne compte qu’une cinquantaine de Juifs.

Au début du mois, l’un des plus anciens producteurs d’huile d’olive de la Serra da Estrea, la Casa Agricola Francisco Esteves, situé dans la ville de Manteigas, a lancé un nouveau label casher, juste à temps pour Hanoukka, la Fête des lumières, qui célèbre le miracle de la fiole d’huile.

Dans la ville voisine de Covilha, sur le côté sud, se trouve Braz Queijos, l’usine de fromage, qui a obtenu en 2003, un certificat de casheroute pour la majorité de ses produits, une première dans le Portugal des temps modernes.

Cinq ans plus tôt, un vignoble de la même ville a produit le premier vin certifié casher du Portugal depuis des siècles. Et en 2010, la ville de Belmonte a organisé un marché casher annuel à l’occasion de Rosh HaShana, le Nouvel An juif.

Le marché casher annuel à Belmonte, le 17 septembre 2017. (Crédit : Jornal de Belmonte/viAa JTA)

La hausse de la production alimentaire casher s’inscrit dans la prise de conscience grandissante par le Portugal de la richesse de son histoire juive. Il devait y avoir des centaines de milliers de Juifs qui vivaient au Portugal avant 1536, quand l’église portugaise et la cour royale se sont associées à la campagne d’expulsion espagnole, aux exécutions et aux conversions forcées, dans le phénomène que l’on appelle l’Inquisition.

La tendance à la casheroute est un moyen de « se rattacher à notre passé », selon Jose Braz, le fromager, qui n’est pas juif.

Au niveau national, le Portugal et l’Espagne ont tous deux pris des mesures extraordinaires pour se faire pardonner de l’Inquisition.

En 2015 par exemple, les deux pays ont fait entrer en vigueur des lois adoptées deux ans auparavant, permettant à 5 000 descendants de juifs sépharades d’obtenir les nationalités espagnole et portugaise. Ces mesures étaient une première mondiale, depuis qu’Israël a adopté sa propre Loi du Retour en 1952.

Cette rectification des erreurs de l’Histoire s’est également traduite par l’investissement de millions de dollars dans les sites juifs à Madrid et à Lisbonne.

Mais certains observateurs estiment que c’est également motivé par un désir de redynamiser les économies portugaise et espagnole (6,7 % de la population active portugaise en juin 2018 était au chômage).

« La Diaspora sépharade peut être considérée comme un vivier qui a la capacité de faire profiter les économies espagnole et portugaise, dans la mesure où ce vivier peut visiter, s’installer et investir », a expliqué Michael Freund, fondateur et président de Shavei Israel, une organisation à but non lucratif qui gère des programmes de sensibilisation pour les descendants de Juifs séfarades.

Des boulangers préparent des pains casher pour la communauté juive de Belmonte, en avril 2012. (Crédit : Shavei Israel/via JTA)

Les autorités des deux pays invoquent régulièrement le tourisme quand il s’agit de dépenser des fonds publics dans la restauration et la rénovation des sites juifs.

Par exemple, le Portugal a récemment investi 8,25 millions de dollars dans le projet Rotas de Sefarad, un réseau de routes à travers le pays qui met en lumière le patrimoine séfarade, et qui « devrait permettre de renforcer le tourisme », selon les propos de Celeste Amaro, la ministre de la Culture portugais au Journal do Centro.

Mais dans la région de la Serra da Estrela, où de nombreux non-juifs ont des racines juives, les gestes à l’égard du judaïsme sont davantage d’ordre personnel que les gestes de Lisbonne, selon le rabbin Elisha Salas, le représentant de Shavei Israel au Portugal, qui est basé à Belmonte.

La municipalité organise annuellement un marché de produits cashers, sous la supervision de Salas, qui assure que les produits mis en vente par les fermiers locaux, notamment du miel, des olives et du pains, sont conformes aux exigences de la halakha, la loi juive.

« Je n’ai pas accès à leurs documents financiers, mais je ne pense pas qu’il y ait une demande si importante de produits cashers qui rendrait la certification rentable », a-t-il dit.

« Ce qui se passe ici à Belmonte, c’est que vous avez des usines et des entreprises dirigées par des personnes qui ont des racines juives, et qui cherchent à se rapprocher du judaïsme, au moins par le biais des produits qu’ils fabriquent. »

C’est peut-être vrai, mais les opérateurs des nouveaux commerces cashers semblent refuser de s’étendre sur ce lien.

La ville de Belmonte, au Portugal, qui accueillait une large population de crypto-Juifs. (Crédit : CC BY Ken and Nyetta, Flickr)

Patricia Duarte Madeira, directrice de la fabrique d’huile Esteves, a déclaré au JTA qu’elle souhaitait une certification de casheroute pour répondre aux besoins de clients de Belmonte, qu’elle décrit comme « la plus grande communauté juive du Portugal ». (Il est vrai que la ville abrite l’une des trois synagogues du Portugal encore en activité, la communauté juive ne s’élève cependant qu’à une cinquantaine de personnes, selon Salas.) Madeira a refusé à deux reprises de confirmer ou d’infirmer son ascendance juive.

Braz, le fromager de la Serra da Estrela, s’est aussi montré frileux à parler de son rapport au judaïsme. Bien qu’il ait confié aux médias israéliens qu’il descendait d’une famille de anoussim (crypto-Juifs, des Juifs qui ont été forcés de se convertir au christianisme mais adhéraient secrètement à la religion juive), et a également affirmé au JTA qu’au moins l’une de ses grands-mères savait qu’elle avait des ancêtres juifs, et avait conservé certaines coutumes, mais il n’en a pas fait état devant les médias portugais.

« Je pense que nous avons tous de l’ADN juif, mais c’est une supposition », avait-il dit en 2009, durant une interview accordée au journal Publico, sur l’intérêt des médias israéliens pour sa fabrique de fromages cashers.

Braz a rapporté une étude de 2008 qui suggère que 20 % de la population ibérique a des gènes juifs.

« Mais je suis catholique, j’ai récemment reçu l’évêque de Guarda à
l’usine », a-t-il dit, avant d’ajouter qu’il s’intéressait davantage au fromage qu’à la généalogie.

Une rue de la ville portugaise d’Évora (Crédit : CC BY-SA Lacobrigo, Wikimedia Commons)

Et pourtant, de nombreuses maisons à Serra da Estrela font manifestement montre de leurs origines juives. Près de Covilha, dans la ville de Trancoso par exemple, les pierres des maisons présentent des incisions bien conservés, qui ont été réalisées pendant et après l’Inquisition portugaise. Certaines inscriptions, en lettres hébraïques, révèlent le mot « horreur », d’autres linteaux de portes montrent les cavités qui abritaient autrefois des mezouzot.

Ces inscriptions, que l’on peut voir uniquement dans des petites villes qui recensaient une importante population juive convertie de force, ont été préservées par les anciens propriétaires comme « un moyen de montrer, de dire, qu’ils se souviennent de qui ils sont réellement, d’où ils viennent », a expliqué Freund, de Shavei Israel.

Ce subterfuge se prolongeait jusque dans la cuisine. La célèbre saucisse Alheira de Mirandela, dont la quantité généreuse d’ail a tendance à masquer le goût des autres ingrédients, a été développée durant l’Inquisition pour les Juifs qui souhaitaient manger casher, tout en donnant l’impression qu’ils mangeaient du porc, comme le reste de la population.

Freund a expliqué que ces techniques sont un témoignage de la brutalité des persécutions qui ont exterminé l’une des communautés juives les plus illustres.

« Après des siècles de silence, il est inévitable qu’un peuple avec des racines juives, fasse attention à la façon dont il le médiatise », a-t-il dit.

« Mais ceux qui sont dans l’industrie alimentaire, obtiennent une certification de casheroute. C’est une manière tangible de le faire sans soulever trop de questions personnelles. »

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