Tout Savoir sur L’arnaque Carbone ou sur la Mafia du CO2

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Une expertise judiciaire vient pour la première fois mettre à mal la version de l’escroc Arnaud Mimran dans l’enquête sur l’assassinat de Samy Souied, son associé dans “l’escroquerie du siècle” aux quotas carbone. Révélations sur une intrigue criminelle digne des Affranchis, qui tourne autour d’une bague.

Il était une fois Belleville… L’enquête sur les Affranchis du carbone

Le journaliste Fabrice Arfi enquête depuis 2015 sur les escrocs millionnaires de la mafia carbone, les ratés de la police et ceux l’administration française

A contre-pied des avertissements de romans noirs le chef du pôle enquêtes de Mediapart prend le soin d’avertir en épigraphe D’argent et de sang : « l’histoire relatée dans cet ouvrage n’est pas inspirée de faits réels ; elle est réelle ».

« Scorcésien » et « shaekspearien » sont des adjectifs qui reviennent souvent dans l’entretien que Fabrice Arfi a accordé au Times of Israel pour décrire l’histoire de la « mafia carbone ». « Un sujet devenu « obsessionnel, » raconte-t-il.

Mais il s’agit bien d’une enquête, suivie dans le temps et minutieuse, sur la mafia du CO2.

On suit un peu comme dans le générique d’Amicalement vôtre l’ascension parallèle des gamins rusés de Belleville Marco Mouly et Samy Souied, et d’Arnaud Mimran, le « blouson doré » du 16e arrondissement, chacun s’extrayant de son milieu pour atteindre le haut de la voyoucratie en lésant l’Etat de centaines de millions d’euros.

Certaines « scènes », parfois dramatiques, n’auraient pas dépareillé d’un film de Mickael Mann, ou d’un Scorsese qui aurait troqué les bas fonds de New York pour le Belleville juif tunisien. L’avertissement est donc utile.

Arnaud Mimran (à droite) arrive avec son avocat, Jean-Marc Fedida (à gauche), au tribunal de Paris pour son procès dans l’affaire de l’escroquerie à la taxe carbone, le 25 mai 2016. (Crédit : Bertrand Guay/AFP)

Est-on dans la fiction quand, en mars 2016, « Marco l’élégant », reçoit Arfi en peignoir dans un luxueux institut de beauté de l’avenue George V en pleine manucure, pour lui asséner : « Alors, écoute bien. T’as vu, je dépense 3 000 euros par mois pour être le plus beau du monde, et toi, dans ton journal tu publies une photo de moi qu’on dirait un gros porc ?! »

Que dire lorsque l’on apprend qu’Arnaud Mimran claquait « des centaines de milliers d’euros voire des millions d’euros » dans les casinos de Las Vegas ou lors de soirées privées en une seule soirée ?

Ou qu’en sortant d’une synagogue d’Eilat, Cyril Astruc, autre arnaqueur, tombe sur le trio Souied-Mouly-Mimran en compagnie de Christophe Rocancourt (le détrousseur de Mickey Rourke et d’autres stars de la jet-set), comme si les escrocs du monde entier formaient une seule et grande confrérie ?

Et que penser des morts, ceux qui s’accumulent dans l’entourage direct d’Arnaud Mimran, dont certains sont abattus par un commando professionnel qui se déplace furtivement dans Paris, et reste à l’heure d’aujourd’hui impuni…

Photos du film Carbone, inspité par l’affaire. (Crédit : Mika Cotellon © 2016 – LES FILMS MANUEL MUNZ – EUROPACORP – NEXUS FACTORY – UMEDIA – Tous droits réservés.)

Non ces « scènes » sont des faits que Fabrice Arfi a amassés depuis 2015 en parlant aux témoins et protagonistes de cette affaire : escrocs, famille, magistrats, hommes de main et policiers, et qu’il rend mêlant pédagogie et sens du récit, tel un « instituteur du réel », selon sa définition du journaliste, fan d’histoires de gangsters.

Times of Israël : L’arnaque à la TVA existe depuis que la TVA existe, racontez-vous. Mais il aura fallu un concours exceptionnel de circonstances pour que cette escroquerie classique accouche du « casse du siècle ». Vous y voyez, à l’instar du très cérébral procureur Patrick Amar « un condensé d’époque ». Pouvez-vous nous en redonner les lignes fortes ?

Fabrice Arfi: En fait, l’affaire du CO2 remonte à 1997 au moment du protocole de Kyoto, quand les grandes nations du monde ont décidé pour la première fois de lutter contre la pollution, et de réduire leur gaz à effet de serre qui provoquent le réchauffement climatique. Européens et Américains ont signé. Puis, il y a eu un débat idéologique sur les moyens pour y parvenir.

Les Européens qui étaient plutôt pour l’Etat-providence et la fiscalité verte ont perdu. Les Américains ont gagné en imposant la financiarisation : il a été décide de créer une sorte de Wall Street vert, avec un principe d’achat-vente de quota carbone sur une bourse dédiée. Toutes les entreprises polluantes du monde avaient un quota de CO2 qu’elles avaient le droit d’émettre dans l’atmosphère. Et celles qui en émettaient trop devaient acheter les quotas de celles qui en émettaient moins sur la bourse d’échange.

Fabrice Arfi (Crédit: A. di Crollalanza)

Et là, toute une escouade d’escrocs est arrivée.

Certains viennent du quartier populaire de Belleville. Ce sont des profils qui ont arrêté l’école très tôt, ont grandi dans un univers d’arnaque à la TVA, une très vieille escroquerie française, et qui vont réussir par le jeu de sociétés fictives, d’homme de paille, et de comptes offshore à s’introduire sur le marché pour faire croire qu’ils sont intermédiaires et qu’ils se piquent d’écologie.

Ils vont ainsi commercer sur la bourse française des quotas carbone qui brassent des sommes faramineuses et sur lesquelles a été assujettie la TVA.

Et ces escrocs-là, quand ils entendent ‘TVA’, ils sautent sur l’occasion.

C’est un jeu qui est purement comptable, un jeu de papier. La TVA est un impôt qui est collecté par les entreprises qu’elles doivent reverser ensuite à l’Etat. Ces escrocs vont non seulement ne pas verser la TVA qu’ils doivent à l’Etat, mais sitôt qu’ils la perçoivent, celle-ci disparaît dans les paradis fiscaux.

Ils vont également réussir à faire ce que l’on appelle un carrousel de TVA, en montant de fausses sociétés en dehors de l’Union européenne qui continuent à vendre et acheter à d’autres fausses sociétés les mêmes quotas carbone. Ils vont donc se faire rembourser par l’État une TVA qui n’était pas due.

C’est un tonneau des Danaïdes parfait, puisqu’ils ne paient pas la TVA qu’ils doivent, et qu’en plus, on leur verse une TVA alors que leur activité est fictive.

Et ce qu’il y a de quasiment beau dans cette histoire c’est que, d’un côté on a une activité qui porte sur la notion de quota – comme le dit très bien le procureur Amar dans cette affaire on est complètement dans l’illusion de la marchandise le quota c’est immatériel – et en face on a des gens qui ont une activité fictive.

Donc on a du vent plus du faux, mais comme on est dans un capitalisme de casino pur, sans contrôle, les sommes en jeu sont absolument folles et dépassent tout ce que ces escrocs-là avaient connu dans leur existence. C’est pour ça qu’en quelques mois seulement on atteint entre 2 et 3 milliards d’euros qui sont détournés au nez et à la barbe de l’État français.

Combien sont encore dans la nature ?

C’est considérable, on a quasiment rien retrouvé. Ce qu’on a retrouvé c’est le patrimoine des escrocs : des avions privés, un yacht, de l’immobilier, quelques comptes en banque… Et malgré une quinzaine d’enquêtes judiciaires, s’il on fait le cumul de tout cela, cela n’atteint pas du tout la somme de 1 600 000 000 d’euros dont parle la Cour des comptes.

Et encore moins les 2 ou 3 milliards dont me parlait un responsable de Bercy dans cette affaire. En fait l’argent s’est totalement évaporé dans les paradis fiscaux et a été réinvesti, blanchi, pour partie en Israël dans l’immobilier.

Entre fin 2008 et début 2009 les prix de l’immobilier israéliens ont amorcé une hausse qui n’a pas encore cessé à ce jour. L’arrivée massive de capitaux issus de la fraude au marché du carbone peut être considérée comme un levier de cette flambée (Crédit: Israel Bureau of Statistics)

Pour comprendre la folie de cette affaire, il faut savoir que lorsque la décision a été prise de retirer la TVA du marché 80 % des transactions ont disparu ! Cela veut dire que 80 % des transactions étaient aux mains du crime organisé. C’est pour cela que l’on parle de casse du siècle.

Vous écrivez que Marco Mouly vous a dit un jour qu’il avait des révélations à vous faire sur des complicités au sein de l’État. D’un autre côté, vous détaillez tous les défauts de l’administration actuelle qui ont pu permettre ce « casse du siècle ». Alors qui est responsable de ce « fiasco d’État » ?

Je n’abonde pas dans la thèse des escrocs qui plaident la pure complicité de l’État dans la fraude. En revanche, il n’y a pas de doute qu’il y a eu une incompétence doublée d’une forme de complaisance des autorités dans cette histoire. Une complaisance qui n’est pas une complicité. Ce que dit [Jean-Baptiste] Carpentier, le patron de Tracfin, qui n’est pas un gauchiste, [Tracfin est le service de renseignement du ministère de l’Economie et des Finances – ndlr] c’est que l’on était face à un libéralisme complètement échevelé où l’idée même du contrôle est considérée comme un frein à la croissance et au rendement. Donc il y a eu une espèce de prison idéologique, qui a fait qu’on n’a pas voulu voir autre chose.

Il y a aussi cette arrogance administrative que l’on connaît bien parfois en France, avec cette idée que l’administration n’a jamais tort. Elle n’a donc pas appréhendé le phénomène quand il est arrivé.

Il y a eu aussi un problème de conflit d’intérêt institutionnel : la Caisse des dépôts et consignations, qui est le bras financier de l’État français, qui s’est retrouvée à la fois propriétaire de la Bourse de quota carbone, et à la fois tenancière du registre sur lequel étaient autorisés à commercer les individus et notamment les escrocs. Et là, il n’y a eu absolument aucun contrôle. Elle a accepté des gens sur la bourse carbone qui, deux semaines auparavant, vendaient des Converses sur des marchés de banlieue parisienne.

Vous rapportez des écoutes où les escrocs eux-mêmes paraissent étonnés à chaque fois qu’une transaction est acceptée par les autorités de la bourse.

Mais oui, ils n’en reviennent pas ! Et c’est ce que Mouly me dit : « j’ai toujours travaillé très durement pour mes escroqueries, et pour le carbone ce n’était pas du travail ».

Et pour revenir sur la Caisse des Dépôts, le troisième conflit d’intérêt est le fait qu’elle est aussi agent bancaire, donc on voit bien que les intérêts du propriétaire de la Bourse ne peuvent pas être les mêmes que les intérêts de celui qui tient le registre et les intérêts de celui qui paye.

C’est pour ça que Roland Veillepeau, de la Direction nationale des enquêtes fiscales, a cette phrase que je trouve très forte, il dit : « normalement dans ce type d’escroquerie, il y a des sociétés pour faire écran et là la société-écran c’était nous-mêmes, c’était l’État ».

Caisse des dépôts et des consignations (Crédit: Edal Anton Lefterov/Wikimedia Commons)

Il y a une quatrième dimension encore qui reste encore un point d’interrogation, mais un point d’interrogation grave et que je révèle dans le livre. C’est une lettre de janvier 2009 de la Caisse des Dépôts qui en dépit de la situation de conflit d’intérêt voyait bien à quel point c’était un tonneau des Danaïdes cette histoire.

Ils ont écrit à la ministre de l’Economie de l’époque, qui est actuellement la présidente du FMI Christine Lagarde – qui n’a jamais voulu répondre à mes questions – et ont dit « là, on a un énorme problème, il y a de la fraude de partout ».

Et cela prendra encore six mois pour résoudre le problème. Or, c’est durant ces six mois que les escrocs vont se faire le plus d’argent. Tout cela explique ce que j’appelle un fiasco d’État dans cette affaire.

“Tu comprends sur cette terre il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons”. En épigraphe du livre vous citez cette phrase de Jean Renoir, tirée de La règle du jeu. Elle semble annoncer que dans ce livre que vous êtes allé un peu plus loin dans la recherche des causes psychologiques de l’action de ces escrocs. C’est une nouvelle manière de travailler pour vous, de mener des recherches dans la biographie des acteurs d’une affaire ?

Absolument, c’est pour cela que j’ai mis cette phrase de La règle du jeu que j’aime beaucoup. Avant ce livre-là, j’en ai déjà écrit 5 ou 6 [à propos des affaires Cahuzac, Bettencourt, Sarkozy-Kadhafi… ndlr]. Je faisais des livres dont la fonction première était de montrer à quel point j’avais raison (rires).

J’avais raison grâce à mes découvertes journalistiques et c’était des livres de démonstration. Chaque chapitre était un gros article.

Là, j’ai voulu raconter une histoire, cela veut dire prendre en charge dans le récit les épaisseurs humaines, les tragédies intimes des personnages qui sont le véhicule de l’histoire, et quand l’une et l’autre s’entremêlent et rencontrent l’époque.

Le livre est vraiment né de mon amour du cinéma de Scorsese et de Sidney Lumet.

Vue depuis le haut de Belleville, rue de Belleville (Crédit: LPLT)

Il y a une forme de fascination pour moi dans cette histoire, qui n’est pas une fascination malsaine je crois, pour raconter l’histoire d’un côté de ses gamins de Belleville qui arrêtent l’école très tôt à 10-12 ans, qui font les marchés, qui grandissent dans le monde de l’escroquerie, et qui vont décider de devenir des escrocs.

Et de l’autre, la rencontre avec un homme qui est à l’autre bout de la ville, à l’autre bout de l’échelle sociale, un homme bien né : Arnaud Mimran. Lui est un « blouson doré » du 16e arrondissement qui est attiré par ce qu’il n’a pas. Et lui ce n’est pas l’argent. Arnaud Mimran, qui est lui-même trader, vient d’une famille très riche. Ce qui l’attire lui, c’est ce fumé du banditisme, du crime, de l’escroquerie.

Et la rencontre des deux univers, celui de Belleville et du 16e, se fera autour d’une table de jeux, car ces gens-là jouent avec la vie comme ils jouent au poker.

On parle là encore de sommes colossales…

Ils peuvent perdre plusieurs centaines de milliers voire des millions d’euros sur une seule partie ! Ce sont des parties privées où l’on rencontre des gens très connus. Patrick Bruel était un intime d’Arnaud Mimran, comme le patron de la chaîne des vêtements Naf Naf, Patrick Pariente, il y a du beau linge.

Arnaud Mimran est quelqu’un qui fréquente la haute société. Son père, ex-numéro 3 du groupe Vinci se fait remettre la Légion d’honneur des mains du ministre du Budget de l’époque Jean-François Copé. Arnaud fait la fête avec les champions du monde de l’équipe de foot de France 98. On est dans ce monde-là.

Et ce trio qui va être formé par Mouly-Souied – les enfants de Belleville – et Mimran, va se retrouver propulsé dans un condensé d’époque qui est cette ultra financiarisation qui pensait régler les problèmes d’écologie de la planète.

Il reste malgré tout difficile de conceptualiser comment ce monde de la haute-finance et de la haute-administration va parvenir à se faire flouer de la plus grande somme de l’histoire de l’escroquerie française par d’anciens « gamins des rues de Belleville », non ?

On est un peu à front renversé. Dans le sens où c’est l’intelligence de rue qui dupe l’intelligence la plus diplômée. Les génies ne sont pas forcément à Bercy dans cette histoire. Ils sont plutôt du côté des escrocs. La finance amorale – la bourse est une finance amorale on peut le dire – rencontre des escrocs qui le sont par définition.

On est en plus sur l’illusion d’une marchandise – des quotas de carbone – qui rencontre des sociétés fictives. Résultat, de l’argent volé par milliards et le sang qui finit par couler, comme dans un film de Scorsese. Là, c’est la deuxième partie de l’histoire où l’on sombre dans une décadence criminelle qui est assez inédite pour la France.

A la lecture de votre livre, et c’est un peu le fil rouge sang du récit, cette décadence criminelle que l’on associe à la mafia du CO2 est en fait concentrée autour d’un personnage, Arnaud Mimran. Tout en rappelant qu’il est présumé innocent, le récit que vous en faites est parfois glaçant. On voit de nombreuses personnes autour de lui mourir les unes après les autres, avec cette étrange tendance il faut le noter, qu’il est souvent le premier à apparaître ensuite sur les lieux du crime.

Je suis très respectueux de la présomption d’innocence. J’ai écrit ce livre comme un roman mais c’est un roman sans fiction, et je suis tenu par les exigences de notre métier. Mais il est un fait indiscutable c’est qu’autour d’Arnaud Mimran on meurt énormément, notamment ceux à qui il doit de l’argent ou avec qui il a des différends.

Et dans ces affaires -, il a beaucoup menti à la justice. Notamment dans les dossiers les plus symboliques comme l’assassinat de Samy Souied et l’histoire de la bague en forme de tête de mort. Elle est elle-même une description très hollywoodienne de ce qu’il s’est passé.

Il a aussi énormément menti à propos de l’assassinat de Claude Dray, son beau-père. Et quand on se penche sur le rapport entre Claude Dray, sa fille Anna et son gendre Arnaud, là on est dans une tragédie quasiment shakespearienne.

Arnaud Mimran fait-il peur dans ce milieu ?

Oui, Arnaud Mimran fait très peur. Je peux témoigner de ça. De fait, son associé Marco Mouly disparaît, et il reste les mensonges autour de la bague. Son beau-père disparaît, et là encore des mensonges.

Moi je ne suis pas là pour envoyer des gens devant un tribunal ou qualifier pénalement des faits, j’essaie simplement de raconter une histoire au ras du réel. C’est pour ça que je suis toujours respectueux de la présomption d’innocence, mais je ne peux pas ne pas faire part de mes découvertes quand elle raconte cette histoire tellement scorcésienne, et aussi shakespearienne dans ce qu’elle raconte du vertige de l’argent absolu qui sombre ensuite dans la tragédie de l’assassinat et du sang.

Arnaud Mimran au tribunal de Paris, le 7 juillet 2016 (Crédit : Bertrand Guay/AFP)

Il y a ce que j’écris, et il y a ce que l’on ne voit pas dans le livre. Ce que l’on ne voit pas, ce sont toutes les personnes que j’ai rencontrées, qui ont travaillé avec lui, et dont je ne peux pas parler : la famille, les hommes de main, des chauffeurs, les gardes du corps… J’ai passé beaucoup de temps dans cet univers très poisseux et la peur de la mort était très présente.

Y-a-t-il quelque chose de différent dans cette affaire vis-à-vis des autres sur lesquelles vous avez enquêté ? La trame de cette histoire a quelque chose de stupéfiant dans le sens où l’on va croiser aussi bien un Premier ministre (Benjamin Netanyahu) un député-bijoutier (Meyer Habib), que des escrocs haut en couleur, de Christiane Melgrani en passant par Christophe Rocancourt…

En fait cette histoire est une pieuvre. L’argent généré par l’arnaque au CO2 a agi comme un accélérateur de particules. Ce magot est un défi cognitif : on parle de 2 milliards d’euros dérobés en quelques mois ! La seule filière à laquelle je m’intéresse dans le livren c’est quasiment 300 millions d’euros en 6 mois, c’est complètement fou. Naturellement ça fait vriller les esprits.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, avec le député français sortant de la 8e circonscription des Français de l’étranger, Meyer Habib (LR-UDI), dans les bureaux du Premier ministre à Jérusalem, le 15 mai 2017. (Crédit : autorisation)

Sur le dos de ce magot là, non seulement le crime français va muter, et l’on assiste à une espèce de fusion entre les groupes corso-marseillais, les Gitans, les « feujs tunisiens », les « affairistes » comme les appellent les policiers, avec des relents de mafia russe en Israël, et des Italiens aussi…

Donc, il y a à la fois ce monde-là, et la surface de notabilité d’un Arnaud Mimran qui va propulser ce monde-là dans son monde à lui, où l’on croise notamment l’actuel Premier ministre Netanyahu.

Comment vous voient-ils, ces escrocs, vous qui mettez le nez dans leurs affaires, qui les avez rencontrés à plusieurs reprises, et qui avez même provoqué une garde à vue d’Arnaud Mimran ?

Mes relations avec Arnaud Mimran ne sont pas simples, je crois. Il m’a poursuivi en justice après mes premiers articles. Il m’avait poursuivi pour diffamation, atteinte à la présomption d’innocence et violation de la vie privée estimant que ses relations avec Netanyahu relevaient de sa vie privée. Il a perdu en première instance et en appel.

Les relations ne sont pas simples d’autant que je me suis beaucoup intéressé à tous les morts, à l’épidémie de cadavres, qu’il y a autour de lui.

Dans le livre, je ne parle pas de tous les cadavres de cette histoire.

Je parle d’Amar Azzoug, de Samy Souied, de Claude Dray, d’Albert Taïeb, et du chef des ravisseurs du banquier suisse Sabir Titou, alias Titax. Un autre dont je ne parle pas mais qui est un intime de Mimran, et qui d’ailleurs fait la connexion entre Mimran et les Hornec, c’est Dominique Guez. Lui s’est pris une balle dans la tête mais n’est pas mort. Cela fait 6. Sans compter Serge Lepage, un grand bandit qui s’était reconverti avec les escrocs du CO2 et qui a été assassiné.

Une partie de ses personnages a essayé de se construire une vie au fil des films qu’ils ont regardés et aimés. Ils ont voulu être des scénaristes de leur existence, c’est pour cela que je parle de bovarysme de gangster.

Arnaud Mimran est fan du film Heat de Michael Mann, tout le monde a regardé Scarface, a vu Les affranchis.

Ce livre n’est ni plus ni moins que le livre des affranchis français. Et donc je pense que pour certains d’entre eux, Marco Mouly entre autres, j’ai peut-être, d’une certaine manière participé à l’écriture de leur propre légende.

D’argent et de sang, Fabrice Arfi, ed. Le Seuil, 18 euros, 256 pages.

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